menu calmeca

La maîtrise du calcul à la renaissance

L'état des lieux du 15ème au 18ème siècle

Pour porter un jugement sur l'utilité de la machine à calculer de Blaise Pascal, il est nécessaire de se replacer dans le contexte de l'époque à laquelle elle a été construite. Le livre de Georges Ifrah "Histoire universelle des chiffres" donne un état des lieux du savoir relatif au calcul à l'époque de la renaissance en Europe occidentale. Les deux anecdotes suivantes en sont une illustration.

Au quinzième siècle un commerçant allemand voulant faire faire des études à son fils se vit donner les conseils suivants :

"Si vous voulez vous contenter de ne lui faire apprendre que la pratique des additions et des soustractions, alors n'importe quelle université allemande ou française fera l'affaire. Par contre, si vous tenez à pousser son instruction jusqu'à la multiplication ou à la division, si tant est qu'il en soit capable, alors il vous faudra l'envoyer dans des écoles italiennes".

De même en 1662 (après l'invention de la pascaline), un fonctionnaire britannique étant confronté à des calculs dans le cadre de son travail partit étudier dans des écoles européennes pour maîtriser l'art du calcul. Il entraîna même son épouse dans cette voie.

"Ma femme est maintenant capable d'effectuer sans peine les additions et les soustractions et même les multiplications. Mais je n'ose pas encore la troubler avec la pratique des divisions".

Il est évident que la pratique du calcul, c'est à dire la capacité de faire ne serait-ce que des additions et des soustractions, était réservée à des spécialistes. De plus, les méthodes de calculs telles que nous les pratiquons aujourd'hui n'étaient pas encore en usage en Europe occidentale du temps de Blaise Pascal. En effet, bien que les chiffres arabes (sans le zéro) aient été introduits en Occident à la fin du 10ème siècle par Gerbert d'Aurillac, le conservatisme qui prévalait à l'époque ainsi que l'absence du zéro explique que la numération et les méthodes de calcul d'origine romaine aient perduré (les opérations se faisaient principalement sur des "abaques" consistant en des tables divisées en lignes et en colonnes qui délimitaient les différents ordres décimaux).

Au tout début du 13ème siècle, Fibonacci publia un traité (le "Liber Abaci") expliquant entre autres le système de numération arabe et les méthodes du calcul écrit utilisant la numération de position rendue possible par l'introduction du zéro. La mise en pratique des méthodes exposées par Fibonacci se heurta à la résistance des "experts en calcul" de l'époque qui tenaient à garder l'exclusivité de ce savoir-faire. La querelle entre les abacistes (partisans du calcul sur abaque) et les algoristes (partisans du calcul écrit) dura pratiquement trois siècles. Les commerçants et les banquiers ont été parmi les derniers à abandonner le calcul sur abaque.

Cliquer sur la gravure pour voir l'aspect de l'abaque de Gerbert d'Aurillac et de celui utilisé par les marchands et commerçants entre le 13ème et le 18ème siècle.

abacistes algoristes

Madame de Sévigné écrit à sa fille en 1671 (après l'invention de la pascaline): « Nous avons trouvé, avec ces jetons qui sont si bons, que j’aurai eu cinq cent trente mille livres de bien, en comptant toutes mes petites successions. »

L'abandon définitif du calcul avec des jetons que l'on déplaçait dans les colonnes d'un abaque attendit la fin du 18ème siècle.

De l'utilité de la machine à calculer de Blaise Pascal

La machine à calculer de Blaise Pascal permettait à un large public (commerçants, banquiers, ...) d'effectuer, sans connaissance mathématique, des additions et des soustractions. Il était même possible pour tout un chacun de faire des multiplications et des divisions. Pour ces dernières opérations, la connaissance de la table de multiplication n'était même pas nécessaire (lire le mode d'emploi de la pascaline donné dans un manuscrit du 18ème siècle).

La lenteur avec laquelle certains calculs étaient effectués ainsi que les étapes successives demandées pour faire une multiplication ou une division avec une pascaline ne sont pas acceptables de notre point de vue d'aujourd'hui. Du temps de Blaise Pascal, le problème se posait en termes différents.

Soit on faisait appel à un expert en calculs qui moyennant finances faisait vos opérations avec des jetons sur un abaque.

Soit on faisait soi-même les calculs sur une pascaline en un temps plus court qu'un abaciste expert. En effet dans le cas des additions, les nombres s'additionnent automatiquement au fur et à mesure de leur inscription, alors que pour un calcul sur abaque il faut en permanence réorganiser les jetons en remplaçant par exemple 5 jetons d'une ligne par un jeton placé entre deux lignes et deux jetons placés entre deux lignes par un seul jeton placé sur la ligne immédiatement au-dessus.

Un examen détaillé de la soustraction et de la multiplication/division conduit à la même conclusion.

Pourquoi n'était-elle pas utilisée ?

Si l'on admet ce qui vient d'être dit, l'on peut se demander pourquoi la pascaline n'a pas eu de succès (seul un petit nombre de machines ont été fabriquées). Les raisons sont peut-être multiples.

Le changement des habitudes de travail ne se faisait pas aussi facilement qu'aujourd'hui. Abandonner le calcul sur abaque ne devait pas être facile. Il suffit pour s'en convaincre de constater qu'il a fallu cinq siècles pour passer du calcul avec les jetons au calcul 'à la plume' malgré les avantages qu'il présente.

Le temps passé à faire sa comptabilité ne devait pas avoir l'importance qu'on lui accorde maintenant.

L'achat d'une pascaline représentait peut-être un investissement non négligeable (cf "historique").

Si l'on en croit certains auteurs de l'époque, la fiabilité de la machine n'était pas satisfaisante.