Les machines à calculer de Blaise Pascal
L'histoire de la naissance de la machine à calculer de Blaise Pascal (Pascaline) est relatée sur beaucoup de sites Web et documents écrits. Je n'en rappellerai donc que les grandes lignes dans cette page.
Blaise Pascal est né en 1623 à Clermont-Ferrand où il réside peu de temps. Son père, Etienne s'occupait des impôts dans cette ville. Suite au décès de sa femme il part s'installer à Paris en 1626. A la fin de 1639, Etienne Pascal est envoyé à Rouen (après une révolte contre la gabelle) pour s'occuper de la collecte des impôts en Basse Normandie. Le calcul des impôts demandait un travail énorme "à la plume". Blaise Pascal, alors âgé de seize ans, songe à créer un appareil mécanique pour aider son père dans cette tâche.
Après plusieurs essais, il conçoit en 1642 un avant-projet qui semble répondre à ses attentes. Pour la réalisation, il s'adresse à un horloger de Rouen qui réalise une machine mais qui ne fonctionne pas. Pascal reprend alors les choses en main et guidant les ouvriers tout au long de la construction de la machine (travaillant semble-t-il lui-même sur certaines pièces) il réussit à présenter en 1645 un modèle en état de fonctionner. D'autres machines furent fabriquées et mises en vente chez Messire Roberval, professeur au collège de France à un prix de 100 livres (ce qui était paraît-il une somme importante pour l'époque). Les machines étaient construites en fonction de l'utilisation que l'on voulait en faire : machines décimales (avec uniquement des roues en base 10), comptables (avec des roues pour les livres et pour les deniers) ou pour l'arpentage (avec des roues pour les toises, les pieds, les pouces et les lignes).
Aujourd'hui, on recense 9 machines à calculer de Blaise Pascal.
La capacité de ces machines va de 5 étages (machine comptable du musée Lecoq) jusqu'à 10 étages (machine comptable de Dresde). Les machines ont des degrés de finition divers (par exemple baguettes d'encadrement manquantes, gravure des limbes des roues étoilées absente). Des perfectionnements y ont été apportés au cours du temps :
Le mode d'emploi de la pascaline:
On trouve sur le Web ou dans différents documents écrits les modes opératoires permettant d'effectuer les quatre opérations de base de l'arithmétique avec les machines à calculer de Blaise Pascal. Ces modes d'emploi ont été imaginés à partir de l'examen (ou de la description) des machines qui sont parvenues jusqu'à nous (ou de reproductions de pascalines), ou sont inspirés de documents décrivant ces machines à calculer.
La rédaction de ces notices, 300 ans après la construction des pascalines ne peut évidemment pas tenir compte du contexte culturel et des connaissances de la clientèle à qui ces calculatrices étaient destinées. Si les indications qu'elles donnent permettent de faire fonctionner les pascalines, leur rédaction est probablement très différente d'un mode d'emploi qui aurait été rédigé au milieu du 17ème siècle. Il serait de ce point de vue intéressant de pouvoir consulter la notice expliquant le fonctionnement de la pascaline rédigée par Blaise Pascal en personne. Si l'on en croit ce qu'écrit Blaise Pascal dans "Avis nécessaire à ceux qui auront la curiosité de voir la machine arithmétique et de s'en servir" cette notice n'aurait jamais été rédigée . Il dit qu'un mode d'emploi n'est pas nécessaire : "si l'on prend la peine de faire réflexion d'une part sur la facilité qu'il y a d'expliquer de bouche et d'entendre par une brève conférence la construction et l'usage de cette machine..."
Cependant pour faire la promotion de son invention il en avait offert un exemplaire à la reine Christine de Suède, nécessairement accompagné d'un "discours" (mode d'emploi) car personne n'était sur place pour en expliquer le fonctionnement. Dans une lettre adressée à l'homme de confiance de la reine il écrit au sujet de ce discours : "j'y ai touché en peu de mots toute l'histoire de cet ouvrage, [...] le succès de son accomplissement et les règles de son usage".
Une notice a donc été rédigée par Blaise Pascal lui même, mais elle n'a pas encore été retrouvée.
Les manuscrits décrivant le fonctionnement de la pascaline.
1) Description de la machine par Diderot.
Un clic droit sur les illustrations permet de les visualiser en grand dans une nouvelle fenêtre.
En 1750, paraissent les 800 premiers exemplaires de l'encyclopédie de Diderot. Un manuscrit y faisant référence décrit la pascaline et en donne le mode d'emploi pour les quatre opérations fondamentales de l'arithmétique. |
La remise à zéro de l'affichage n'est pas détaillée. Le texte indique seulement qu'il faut amener le chiffre "0" dans chacune des lucarnes à l'aide du stylet. |
Pour la soustraction, déplacer la réglette mobile en position soustraction, puis afficher le nombre de départ. Entrer ensuite successivement les nombres à soustraire. |
La multiplication s'effectue par additions successives. |
La division par soustractions successives demande une attention soutenue de l'opérateur. Le nombre de soustractions effectuées est noté sur les rondelles de mémoire (qui ne sont pas présentes sur la totalité des exemplaires des machines qui sont parvenues jusqu'à nous). |
2) Description de la machine dans un second manuscrit du 18ème siècle.
Un second manuscrit donne également le mode d'emploi de la pascaline pour les quatre opérations fondamentales de l'arithmétique.
On a cru reconnaître une copie du "mode d'emploi" de Blaise Pascal dans un manuscrit du 18ème siècle intitulé‚"Usage de la machine", acheté en en 1982 par le CIBP (Centre International Blaise Pascal) de Clermont-Ferrand. L'étude de ce manuscrit par Guy Mourlevat, ne permet pas de retenir cette hypothèse. L'écriture est similaire à celle du chevalier Durant-Pascal. Il s'agit en fait d'une copie d'une notice éditée en 1779 par l'abbé Bossut (30 ans après la première parution de l'encyclopédie de Diderot). La première partie du document est un mode d'emploi relatif à une pascaline comptable (avec sous et deniers) pour les quatre opérations. Le numéro 8 du "Courrier du Centre International Blaise Pascal" y est consacré.
Cet "Usage de la machine" décrit de façon plus détaillée la mise à zéro de la machine et donne des méthodes différentes pour effectuer la multiplication et la division. Il n'est plus nécessaire de procéder par additions ou soustractions successives pour faire ces opérations (à condition d'avoir sous la main une table de multiplication ou de la connaître par cœur).
Les explications que je donne sur la manière d'effectuer les quatre opérations de base de l'arithmétique sont la retranscription des explications données dans le manuscrit.
Le texte entre guillemets dans les différentes pages expliquant le mode opératoire de la pascaline est une copie de passages du manuscrit (après quelques corrections orthographiques).
Des séquences filmées réalisées sur une reproduction appartenant au musée Lecoq de Clermont-Ferrand illustrent les quatre opérations (+ - / x ) selon la méthode indiquée dans le manuscrit "Usage de la machine".
Les conclusions que l'on peut (à mon avis) tirer de ce manuscrit
La machine arithmétique de Blaise Pascal est la première machine à calculer connue ayant été construite en plusieurs exemplaires et ayant été utilisée. Avec l'horloge à calcul de Schickard c'est le premier exemple concret de la matérialisation mécanique d'un processus purement mental (règles mathématiques inventées par l'homme pour faire des opérations). De ce point de vue c'est une innovation fondamentale dans l'histoire des techniques.
A ce jour neuf exemplaires des pascalines ont été retrouvées, 3 machines décimales, 5 comptables et une pour les calculs de longueurs. Suivant les cas ces machines comportent 5, 6, 8 ou dix roues étoilées pour l'inscription des nombres et leurs finitions ne sont pas identiques. Ces machines ont suscité l'intérêt de nombre de personnes qui en ont étudié le mécanisme et en ont déduit des modes opératoires. Les idées avancées par certains ont été prises par d'autres quelquefois à tort comme argent comptant.
Par exemples:
La machine doit être parfaitement horizontale pour fonctionner
(cf la rubrique "je ne suis pas d'accord").
La remise à zéro du totalisateur nécessite de calculer mentalement le complément à 9 (19 et 11 pour les sols et les deniers) pour chaque tambour chiffré du totalisateur et de le mettre à l'inscripteur.
En réalité, d'après le manuscrit du 18ème siècle, aucun calcul n'était nécessaire, il suffisait de mettre le stylet entre les rayons marqués (toutes les machines retrouvées ont des rayons marqués) et de tourner jusqu'en butée (cf vidéo).
La soustraction se faisait par la méthode dite des compléments à 9.
Cette affirmation doit venir de la double graduation des tambours chiffrés qui montre que la somme des deux chiffres d'une génératrice du tambour est égale à 9. Dans la méthode des compléments à 9, pour faire une soustraction, chacun des chiffres du nombre à soustraire est remplacé par son complément à 9 et additionné au contenu du totalisateur, puis on ajoute 1 pour obtenir le résultat exact (méthode utilisée par exemple sur le comptometer de Felt et Tarrant).
Dans le cas de la pascaline, après avoir positionné la baguette mobile en position soustraction, on affiche le premier nombre au totalisateur (ce qui se fait sans aucun calcul en amenant les rayons marqués en face du chiffre désiré gravé sur la couronne) puis on entre de façon habituelle le nombre à retrancher pour lire aussitôt le résultat dans les lucarnes de l'afficheur (cf vidéo).
La multiplication, quoique possible, est trop fastidieuse pour que dans cette opération la pascaline soit vraiment utile.
Bien que nécessitant plusieurs étapes, avec la bandelette de papier et la table de Pythagore ce n'est pas aussi compliqué qu'on veut bien le dire (cf vidéo).
La division était tellement compliquée à faire que la machine n'avait aucune utilité dans ce domaine.
Avec la bandelette de papier, bien que peu pratique de notre point de vue du 21ème siècle, la division est une opération tout à fait possible (cf vidéo). Un utilisateur qui a besoin de la table de Pythagore pour faire des multiplications est-il capable de faire une division sans la machine ?
Le peu de succès commercial de la pascaline.
Il faut toutefois reconnaître que la machine arithmétique de Blaise Pascal n'a semble-t-il pas été un grand succès commercial. Certains prétendent qu'elle n'était pas fiable, en particulier du fait de son système de report des retenues. C'est peut être exact, mais pour en avoir le cœur net il faudrait faire fonctionner un original de l'époque dans un état "neuf".
Une autre raison qui a contribué à la faible diffusion de la pascaline était son prix élevé, 100 Livres d'époque (source : Les collections du musée Henri Lecoq - Volume V "Les Machines Arithmétiques De Blaise Pascal").
A titre indicatif, le salaire moyen journalier est de 1 Livre (20 sols), le pain se paye 2 sols, la douzaine d'œufs 10 sols et les 500 g de beurre 6 sols (source : Banque de France).
En ce qui concerne la solidité, elle pouvait supporter de longs voyages sans "souffrir de la moindre altération" selon Blaise Pascal. Le test a effectivement été fait avec succès sur un trajet aller-retour entre Rouen et Clermont-Ferrand en voiture à chevaux sur les chemins de l'époque. Est-ce que ce test a été fait sur toutes les machines fabriquées ?
Quelques ouvrages :
Guy Mourlevat - "Les machines arithmétiques de Blaise Pascal" - Clermont-Ferrand, La Française d'Edition et d'Imprimerie (1988)
Courrier du centre international Blaise Pascal - n°8 - Clermont-Ferrand (1986)
Les collections du musée Henri Lecoq - Volume V "Les Machines Arithmétiques De Blaise Pascal"
Jean Marguin - "Histoire des instruments et machines à calculer, trois siècles de mécanique pensante 1642-1942" - Hermann (1994) ISBN 2 7056 6166 3
René Taton - "Le calcul mécanique" - Que sais-je ? n° 367 - Presses universitaires de France (1949)